On assiste à un éclatement des
temps sociaux, des territoires de vie et des mobilités. Les statuts changent,
les échelles et les frontières deviennent plus floues. L’irruption des TIC
brouille les rapports entre l’espace et le temps, l’ici et l’ailleurs, le réel
et le virtuel, l’individu et les communautés. L’effacement progressif de
l’unité de temps, de lieu et d’action des institutions oblige à de nouveaux
assemblages. Le « big-bang » des organisations et des territoires entraîne de
nouvelles recompositions et nécessite d’autres alliages, alliances ou
coalitions.
Métissage, multi-appartenance, hybridation des espaces, des temps et des
pratiques deviennent des figures courantes du monde contemporain. L’individu
devient « polytopique » et les nouveaux espaces qu’il produit définissent de
nouvelles hétérotopies qui hébergent d’autres imaginaires. Les frontières entre
temps de travail et temps de loisirs s’effacent. Les métiers uniques laissent
la place à des « portefeuilles d'activités ». Le temps du voyage devient
parfois un temps de travail (et vice versa). L’appartement se fait hôtel, la
ville se transforme en station touristique, alors que la station s’urbanise. On
distingue de moins en moins la résidence secondaire de l’habitation principale.
Les campings sont habités à l’année et pour quelques heures certains musées
deviennent bibliothèques. A Paris, en été, la voie sur berges se transforme en
plage alors qu’en hiver la place de la mairie accueille une patinoire. Sur les
marges, les délaissés urbains produits par la ville postmoderne sont investis
par les exclus qui font mentir l’hypothèse des « non-lieux ». Face à la
fonctionnalité et à la spécialisation stérilisante des espaces et des temps,
des « tiers lieux » et des « tiers temps » émergent qui réinventent la fonction
même des territoires comme lieu de maximisation des interactions, lieu de
croisements et de frottements : cafés transformés en bibliothèques, laveries
automatiques métamorphosées en café, pépinières associant entrepreneurs et
artistes mais aussi toitures transformées en jardins, écomusées ou parcs
d’attractions habités, etc. Les nuits urbaines deviennent des jours ou des «
non-jours ». Les statuts des individus en mouvement se brouillent en termes de
nationalités, d'identités, d'appartenances et de fonctions. Les
frontières entre homme et animal vacillent au point que l'on parle désormais de
« droit » pour les seconds. Les prothèses techniques qui nous aident à vivre
pénètrent nos corps, faisant surgir la figure du cyborg. Avec l’informatique
ubiquitaire, les objets qui remettent constamment à jour leur localisation dans
le temps et l’espace, deviennent des produits et services hybrides, des
assemblages chimériques combinant des éléments stables et instables. De
nouvelles coalitions territoriales multi-scalaires s'inventent à la frontière
ou dans l’entre-deux. Des hybrides territoriaux émergent autour de
politiques publiques inter-territoriales capables de combiner plusieurs
objectifs du développement durable et de répondre à des besoins collectifs
jusqu’ici indépendants.
Dans cette société complexe, la tendance est aux alliances et aux
collaborations (co-opération, co-conception, co-développement,
co-habitation, co-voiturage mais aussi inter et trans-disciplinarité…) qui font
émerger des méthodes, des objets, des pratiques et des identités nouvelles. En
ce sens, l’inter-culturalité devient une obligation et une nouvelle posture.
Le territoire est au cœur de ces recompositions et hybridations qui
convoquent le sensible et l’éphémère. De nouvelles figures émergent, de
nouvelles scènes et de nouvelles modalités de coopération apparaissent à
différentes échelles et selon des modalités plurielles. Pour répondre aux
enjeux, des croisements s’opèrent, des hybridations deviennent possibles. Des
artistes se rêvent urbanistes alors que des urbanistes en appellent au sensible
et à la créativité. La ville « s’ensauvage » et la nature s’urbanise. De
nouvelles questions se posent qui concernent les territoires, les
organisations, les pratiques, les individus et les groupes. La complexité des
situations, l’imbrication des échelles, la multitude des acteurs concernés nous
obligent à changer de regard pour répondre aux défis, imaginer et construire
ensemble les modes de vie et les formes de la société de demain dans et par de
nouveaux territoires.
Ces mutations qui bouleversent nos habitudes nous invitent à imaginer
d’autres formes d’intelligence collective pour observer et comprendre les
mutations, analyser les hybrides sociétaux et territoriaux qui émergent et
construire de nouveaux modes de collaborations pour la recherche et pour la
fabrique des territoires. Nous pensons ouverts et féconds les chemins de
l’hybridation aux frontières de la recherche et des pratiques professionnelles,
des sciences du territoire et des autres disciplines.
Hybridation, croisement, mixage, métissage, inter-relations (…) Comment dire
et analyser le composite ? Quelles sont les significations dans la pensée et la
pratique scientifique ? L'émergence de ce concept dans le champ des sciences du
territoire (donc de la géographie, de l’urbanisme, de l’aménagement, de
l’histoire, de l’architecture, de l’anthropologie et de nombreuses autres
sciences sociales, …) traduit la nécessité de penser les articulations, les
relations et les imbrications entre objets scientifiques (territoire/réseau,
inter-territorialité, entre-deux...). Elle permet de revisiter ces objets aussi
bien que les pratiques et les principes de catégorisation.
Dans le cadre d’une approche interdisciplinaire, les sciences du territoire ont
besoin de s’approprier la richesse d’un concept, de réfléchir aux conséquences
épistémologiques, de confronter les approches et les modes de construction de
ces objets hybrides, de mesurer leur intérêt et de discuter de leur pertinence.
Qu’est-ce qu’un hybride ? Quelles sont les hybridations à l’œuvre ? Peut-on
parler d’hybridité ? Quel intérêt du concept pour les sciences du territoire ?
Comment s’en saisir ?
Luc Gwiazdzinski, Responsable scientifique
Ce sont là quelques questions qui seront traitées au cours de ce colloque à
partir des communications soumises et des présentations de personnalités de
disciplines et d’univers différents.
Intervenants : G. Amar, M. Arnaud, P. Amphoux, B. Andrieu, M.C. Bordeaux, N.
Boudjelida, D. Bougnoux, J-P. Boutinet, V. Berdoulay, F. Beau, J-M.
Besnier, A. Berthoz, A. Berque, S. Bonfiglioli (Italie), D. Breznitz
(USA), A. Conjard, S. Cordobes, M. Colleoni (Italie), N. Cattan, P.
Chamoiseau, A. Charlot, L. Chicoineau, P. Cinquin, P. Claval, A.
Dalmasso, M. Desvigne, R. Favier, C. Ferrari, A. Gallais, P. Gordiani, ,
M. Gravari Barbas, S. Gros, E. Hermange, F. Jegou (Belgique), M. Le
Floch, J. Gomez Mendoza (Espagne), F. Jaureguiberry, A-S. Jacques, D.
Kaplan, Y. Kersalé, P. Mallein, F. Martin-Juchat, C. Maumi , T.
Menissier, Y. Moulier-Boutang, P. Mouillon, L. Petit, C. Pontier, G.
Rabin, M. Roche, J. Roinat, T. Nghien, A. Sanchez Majas (Suisse), H.
Torgue, A. Turco (Italie), J. Viard, J-J. Wunenburger, C. Younes, T.
Zeldin (GB) (…).